« Le combat le plus important contre l’homophobie reste la dépénalisation »

Si le mariage homosexuel progresse dans le monde, des dizaines de pays considèrent encore l’homosexualité comme un crime. À l’occasion de la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, France 24 a rencontré le militant Louis-Georges Tin.

La journée mondiale contre l’homophobie et la transophobie, qui se tient chaque année le 17 mai, fera date à Taïwan. Le Parlement de ce petit état insulaire a légalisé, vendredi, le mariage gay, une première en Asie. Il emboîte ainsi le pas à plusieurs autres États, comme l’Autriche, l’Australie, la Colombie, la France, ou encore le Brésil. En revanche, d’autres pays, comme le sultanat de Brunei, ont adopté des lois extrêmement restrictives et les violences contre les minorités sexuelles demeurent un réel problème partout dans le monde. Dans plus de 130 pays, des évenements visent à sensibiliser et alerter sur les nombreux abus contre les personnes homosexuelles à travers le monde.

Pour comprendre l’évolution du phénomène, France 24 a interviewé le fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie, le français Louis-Georges Tin, universitaire et militant contre l’homophobie et le racisme.

Vous êtes à l’origine de la Journée mondiale contre l’homophobie, comment avez-vous créé cet évènement  et pourquoi le choix du 17 mai?

En 2003, j’ai dirigé la rédaction du Dictionnaire de l’homophobie [éditions Presses universitaires de France, NDLR]. Il s’agissait d’un ouvrage théorique, et j’ai voulu passer à la pratique. J’ai alors rassemblé des partenaires internationaux avec une forte capacité de mobilisation dans leurs pays respectifs ; comme Mariela Castro, la fille de l’ancien président cubain Raúl Castro, ou encore comme l’organisateur de la Moscow Pride, Nikolaï Alekseïev, ou bien encore l’avocate camerounaise Alice Nkom. J’ai choisi le 17 mai, car c’est à cette date, en 1990, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a enlevé l’homosexualité de la liste des maladies mentales. La première année, en 2005, une quarantaine de pays ont participé. Aujourd’hui, il y en a trois fois plus.

Le mariage homosexuel progresse à l’échelle de la planète, est-ce un signe du recul de l’homophobie ?

Il s’agit sûrement du progrès le plus visible. Le phénomène est parti des États-Unis, puis s’est étendu à l’Europe et à travers le monde. Il faut s’en réjouir, mais le combat le plus important reste la dépénalisation. L’homosexualité demeure interdite dans plus de 70 pays ; une dizaine condamne encore les homosexuels à la peine de mort. Il y a les pays d’Afrique et du Moyen-Orient où l’on pratique la charia, mais il y a aussi des pays catholiques. Par ailleurs, au Brésil, où le mariage homosexuel est pourtant légal, il y a plus de 300 meurtres homophobes par an et très peu d’action de la police pour mettre fin à ce phénomène. La situation ne risque pas de s’améliorer avec le nouveau président Jair Bolsonaro. Ailleurs aussi, où l’extrême droite s’affirme : la situation est mauvaise en Pologne, et délétère en Tchétchénie, où il y a des rafles et où les gens disparaissent sans laisser de traces.

Pour ce qui est des avancées, l’Afrique du Sud a lancé le mouvement sur le continent africain en dépénalisant et aujourd’hui des pays comme le Kenya ou l’Angola suivent. En Inde, le combat a été gagné devant la Cour suprême en 2018. Pour résumer la situation, il y a des avancées comme le mariage homosexuel, mais l’homophobie progresse aussi en parallèle.

L’homophobie est-elle une forme de discrimination comparable au racisme ?

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C’est une forme de discrimination, à mettre au même plan que les autres, même si elle a des particularités. Ce n’est pas celle qui tue le plus dans le monde, mais c’est celle qui pose le plus gros problème philosophique. Aucune autre minorité n’est interdite dans plus de 70 pays. L’homophobie d’État est encore très repandue ; beaucoup de pays sont officiellement homophobes, alors qu’aucun État ne se revendique raciste. De la même manière, beaucoup de gens considèrent ouvertement l’homosexualité comme une déviance ou une maladie, alors qu’il est aujourd’hui plus difficile de revendiquer la supériorité raciale.

L’autre singularité de l’homophobie, c’est l’isolement des jeunes homosexuels dans les familles. Un jeune noir qui grandit dans un environnement raciste peut compter sur le soutien de sa famille. Il en va de même pour les problèmes de jeunes filles confrontées au sexisme, alors que beaucoup de jeunes homosexuels sont rejetés par les leurs. L’exclusion familiale est un drame qui entraîne toutes sortes de dérives ; certains se retrouvent à la rue, se désocialisent ou font des thérapies de conversion. Au final, le taux de suicide chez les jeunes homosexuels est bien plus élevé ; ce qui reste l’aspect à la fois le plus grave et le moins documenté car tabou.

Selon vous, comment la situation évolue-t-elle en France ?

On constate une recrudescence des violences homophobes, mais il n’est pas toujours facile de savoir si ce sont les signalements qui augmentent ou bien les actes. De manière générale, on peut dire que les violences sont plus nombreuses qu’on ne le pense. Les agressions ont toujours existé mais aujourd’hui, elles sont plus visibles avec les réseaux sociaux. Certains se croient autorisés à tabasser les homosexuels et se filment pour en faire un spectacle collectif et viral.

Sur le plan politique, on peut déplorer un net recul. En 2008, sous l’impulsion de Rama Yade, qui était alors secrétaire d’État aux droits de l’Homme, nous avions porté un texte à l’ONU appelant à la dépénalisation de l’homosexualité. Elle avait continué ce combat dans son rôle d’ambassadrice à l’Unesco, mais personne au sein des gouvernements suivants n’a pris le relais. Depuis que la France a renoncé à son leadership, le sujet stagne. Aujourd’hui, les gouvernements ne sont plus à l’initiative, il n’y a malheureusement plus de dynamique diplomatique pour faire bouger les choses.

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